Chercher à appréhender le monde à échéance de 30 ans est un exercice régulier de l’analyse stratégique et géopolitique. Sans remonter à la « préhistoire » de l’exercice et les travaux précurseurs de l’universitaire allemand Ossip K. Flechtheim dès les années 40, on ne compte depuis le milieu du XXème siècle les exercices de ce genre, qu’il s’agisse des travaux de la Rand Corporation, des livres du « futurologue » Alvin Toffler, ceux de Jeremy Rifkin ou des études de l’Académie des sciences de la Fédération de Russie ou de Chine, en passant par les rapports du Commissariat français au Plan et de toutes ses descendances dans le panorama administratif français.
Mais tenter de penser le monde de 2050 nécessite, au-delà d’une approche interdisciplinaire visant à extrapoler, de manière empirique les évolutions prévisibles dans le domaine de l’économie, de la démographie, de la santé, des sciences et techniques, des affaires militaires…, de prendre en compte plusieurs éléments de rupture majeure par rapport à notre monde actuel. Des ruptures en cours d’émergence sous nos yeux et qui devraient acquérir leur pleine ampleur au cours des prochaines années.
Au moins quatre grands domaines apparaissent « moteur » dans la reconfiguration du monde qui nous attend :
- le changement climatique, se concrétisant par une hausse des températures moyennes allant au-delà des +1,5° préconisée par l’Accord de Paris (probablement +2,7°, voire +3° à en croire les derniers travaux du GIEC) et ouvrant la voie à l’émergence d’une « autre » planète que celle que nous connaissions depuis des millénaires ;
- la décarbonation de l’économie mondiale, qui va s’accompagner d’une vague massive « d’électrification » (concernant en particulier l’ensemble des systèmes de mobilité) ;
- le poids croissant de la gouvernance des algorithmes et la diffusion de l’intelligence artificielle dans tous les domaines de la vie quotidienne, de l’économie ou de la géopolitique (préserver la paix, contrôler les populations, faire la guerre…),
- sans oublier les progrès des neurosciences et la mise en œuvre de procédures de plus en plus sophistiquées de prise de contrôle des cerveaux et de manipulation du plus grand nombre, en instrumentalisant l’addiction d’une grande majorité des humains à l’univers digital, aux réseaux sociaux et à la réalité virtuelle, au risque d’éroder les fondements des grands principes démocratiques tels qu’ils sont appréhendés en Occident depuis le XVIIIème siècle.
Se lancer dans un exercice de prospective en cette fin 2021 oblige – et c’est là une nouveauté majeure par rapport aux précédents travaux de cette nature – de prendre en compte un facteur incontournable : la « finitude » de la planète Terre. Une abondante littérature scientifique et économique nous avertit depuis des années que notre bonne vieille planète est en passe d’atteindre certaines de ses limites physiques. Les indices en la matière sont nombreux et variés : dérèglement climatique, acidification des océans, destruction de la biodiversité, raréfaction de certaines ressources, disparition des forêts primaires, accentuation du stress hydrique, stérilisation des terres arables, surpopulation, spectre de pénuries de matières premières….
Réfléchir à ce que pourrait devenir notre planète au cours des trois prochaines décennies nécessite, bien évidemment de prendre en compte les évolutions des acteurs du « Grand jeu » planétaire traditionnel (Etats, entreprises, ONG, diaspora, médias, réseaux sociaux, communautés identitaires, religieuses, linguistiques, genrées…) et leurs interactions (tout particulièrement le bras de fer sino-américain pour le leadership mondial, mais aussi, l’impuissance chronique – probable – de l’Europe face aux autre key players russes, américains, chinois…, ou encore l’émergence démographique – certaine – de l’Afrique et ses effets sur les continents voisins…).
Mais il faut également parvenir à appréhender dans toute sa globalité, la transformation inéluctable du cadre même de ce « Grand Jeu ». Par cette formule, il faut entendre l’évolution – plus que préoccupante – du fonctionnement physique de la planète et les conséquences qui en résultent pour toute forme de vie organique, soumises aux effets délétères de processus naturels mais aussi d’activités anthropiques trop souvent dévastatrices.
Pour employer une métaphore footballistique, il ne s’agit pas d’analyser « as usual » les équipes en lice pour le championnat qui s’annonce, ne pas se limiter à étudier la composition de leurs effectifs, débattre sur la pertinence du recrutement lors du dernier mercato, observer l’amélioration des performances mentales et physiques des joueurs, décrypter leur préparation physique, gloser sur la « philosophie » des entraîneurs et la subtilité des systèmes de jeu qu’ils prônent (discuter d’un schéma en 4/4/3 ou en 3/5/2) ou encore comparer l’évolution des budgets de chaque club. Il faut également désormais intérioriser le fait que la pelouse ne sera plus vraiment verte mais largement clairsemée par endroits ou noyée sous les eaux par ailleurs ; le terrain de plus en plus bosselé ; les lignes de touche en partie effacées et que le ballon, dégonflé, ne rebondira plus comme attendu. Il faudra tenir compte du fait qu’il n’y aura plus d’arbitre (du moins que son autorité sera très fortement contestée en permanence), que les règles divergeront d’une partie à une autre et que le règlement pourra même évoluer en cours de partie sous l’impulsion du plus fort. En un mot, que le temps heureux des « artistes magiciens » du ballon rond sera révolu, pour laisser la place à une philosophie du jeu plus frustre et plus brutale, dans laquelle, il est à redouter que tous les coups soient permis.
C’est cette mutation du « Grand Jeu », de ses finalités, de ses acteurs et de son terrain que ce blog entend décortiquer, du moins autant qu’il soit possible de « penser » dans sa globalité et son ampleur le refaçonnage de notre planète durant les prochaines décennies.