Avenir du secteur minier au Niger : une opportunité pour une Chine attentiste ?

Le devenir de la présence française en Afrique au cours des prochaines décennies constitue un sujet aussi fascinant que complexe, en particulier au regard des spectaculaires reculs subis ces derniers temps au Sahel. Qui aurait pu prédire une aussi rapide et douloureuse évolution ? Le déclin – possiblement durable – de la France offre des opportunités d’action à d’autres protagonistes extra-africains pour façonner l’avenir de la zone : la Russie, trop souvent citée au risque d’occulter l’activisme d’autres acteurs tels que la Turquie, l’Arabie saoudite, les EAU, le Qatar, le Pakistan, l’Inde, la liste est longue, sans oublier bien évidemment la Chine. Du fait de l’éviction de Paris, cette dernière pourrait se retrouver dans ce pays pauvre mais recelant d’importants gisements d’uranium face aux Etats-Unis, plus pragmatiques que Paris à l’égard de la junte et soucieux d’y conserver leur implantation sécuritaire. Sandrine Ronco, dont Horizons Incertains est heureux de publier une nouvelle analyse centrée sur ce que l’on pourrait appeler le « projet global chinois », nous fournit de précieux éclairages, peu évoqués, sur certaines dimensions de la récente crise au Niger et ce qu’elles laissent augurer pour l’avenir.

Horizons Incertains

Initialement attribué à « un mouvement d’humeur », le coup d’état de la garde présidentielle nigérienne du 26 juillet 2023, mené par le général Tchiani, s’est installé dans la durée. S’il semble découler, en grande partie, de l’action persistante de l’ancien président Mahamadou Issoufou sur fond de malversations dans le secteur des hydrocarbures, il a entraîné dans son sillage différentes parties prenantes étrangères au Sahel. Dans ce contexte, la montée de l’influence russe a été habilement mise en scène à la faveur de l’arrivée au pouvoir de la junte militaire et de la mise au ban de la France. L’activisme régional russe (en ligne ou par une présence larvée) est ainsi apparu en creux de ce putsch intervenu à la veille du 2ème sommet Russie-Afrique, des 27 et 28 juillet derniers. Le président Bazoum, opposé à la stratégie de ses voisins de recourir à des groupes armés paramilitaires pour combattre le terrorisme en Afrique de l’Ouest, n’était d’ailleurs pas prévu de participer à ce rassemblement[1].

Plus discrète, la Chine a également été exposée notamment avec l’implication supposée d’une major chinoise dans la restructuration avortée du secteur local des hydrocarbures qui aurait dû être amorcée le 27 juillet 2023. Au milieu des turbulences, plusieurs projets chinois, qui se sont multipliés depuis que Niamey a été embarqué dans le maillage des Routes de la Soie en mai 2018, sont à protéger. L’accès prioritaire aux hydrocarbures et surtout, dans le cas du Niger, au minerai d’uranium, constitue une priorité stratégique pour Pékin qui souhaite maîtriser l’ensemble du cycle du combustible nucléaire, développer son parc nucléaire (l’un des plus importants au monde avec 56 réacteurs en activité et 24 autres en construction) et exporter ses réacteurs Hualong. Deux d’entre eux ont déjà été exportés au Pakistan et sont entrés en service au début de la décennie 2020, un 3ème de ce type ayant été commandé début juillet 2023. D’autres projets sont à l’étude, notamment en Arabie Saoudite et en Argentine, deux nouveaux « BRICS ». Dans un tel contexte, les incertitudes concernant le devenir d’un pays figurant parmi les plus pauvres du monde  mais aussi un des principaux pays exportateurs d’uranium, ou plus exactement d’U308, un concentré légèrement traité mieux connu sous le nom de yellow cake, en pleine séquence mondiale de relance du nucléaire, ne peuvent que susciter des inquiétudes mais également des convoitises de la part des industriels chinois du secteur .

En effet, la situation au Niger fluctue ; des rivalités existent au sein même de la junte représentée par le Conseil national pour la sauvegarde de la Patrie (CNSP). La Chine adopte dans ces conditions une position attentiste en vue de sauvegarder ses intérêts et de saisir les opportunités qui pourraient s’offrir à elle, parmi lesquelles la récupération du gisement d’Imouraren, actuellement attribué à Orano. Une telle hypothèse n’est pas à exclure. Bien que la Chine aspire prioritairement à une stabilité régionale, les ambitions de déstabilisation politique et de mise au ban de la France par les acteurs russes ou russophiles pourraient converger avec les intérêts de la Chine en Afrique de l’Ouest.

Des relations sino-nigériennes bâties autour de l’énergie et des mines (uranium, pétrole, hydroélectricité)

Pékin a noué des relations diplomatiques avec Niamey le 20 juillet 1974. Après une interruption d’environ 4 ans, consécutive à l’établissement de relations avec Taipei, le 19 juin 1992, et au nom du principe d’une seule Chine, elles ont repris le 19 août 1996. La même année, sous la pression du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, le Niger a privatisé plusieurs pans de son économie notamment soutenu par un financement chinois sous la forme d’octroi de prêts. Entre 1999 et 2010, sous la présidence de Mahamadou Tandja, la relation s’est schématiquement consolidée autour d’accords d’exploitation pétrolière et uranifère avec des sociétés chinoises :

  • Dans le secteur de l’uranium, les sociétés China National Nuclear Corporation (CNNC) et ZXJoy Invest (société d’investissement dans les mines, filiale de l’équipementier télécom ZTE qui a équipé quelques années plus tard, l’Etat major des forces armées nigériennes en systèmes de communication par fibre optique) ont pris des participations dans la mine d’Azelik à hauteur de 62% en 2007. Puis en 2009, l’Exim Bank of China a octroyé un prêt au Niger intégralement réinvesti dans le projet. La Chine a cessé d’exploiter ce site peu rentable en 2015.
  • Dans le secteur pétrolier, un accord pour l’exploitation, par PetroChina, du gisement d’Agadem était signé en 2008. Il prévoyait un partage de la production dans le cadre d’une co-entreprise (dont 60% de participation pour la société chinoise) accompagné de la construction de la raffinerie de Zinder. Le lancement du projet en 2011, sous la Présidence de Mahamadou Issoufou, a permis au Niger de devenir un pays producteur de pétrole. En septembre 2019, un accord a été conclu pour construire un oléoduc de 2000 km destiné à acheminer le pétrole nigérien des gisements d’Agadem II vers le port de Sèmè-Podji au Bénin (Pipeline Export Niger Benin / PENB). Les travaux réalisés par la China National Oil and Gas Exploration and Development Company Ltd ont démarré au printemps 2021 et auraient dû s’achever à l’automne 2023 pour une entrée en service d’ici la fin de l’année. Mais les récents évènements ont inéluctablement perturbé ce calendrier.
  • Dans le secteur de l’hydroélectricité, les entreprises chinoises sont devenues des partenaires essentiels du Niger en récupérant en catastrophe le projet de barrage hydroélectrique de Kandadji, sur le fleuve Niger, un des échecs les plus retentissants de l’aide au développement de la Russie de ces dernières années. Les mystères de la gouvernance nigérienne dans les années 2000 ont fait que le projet a été initialement  octroyé à la firme russe Zaroubejvodstroï qui n’avait aucune expérience en Afrique. Le chantier a démarré en 2010 mais assez rapidement, les Russes ont été confrontés à des problèmes techniques et de  gestion du projet ainsi qu’à la dégradation du contexte sécuritaire dans cette zone. Les retards s’accumulant, les  autorités nigériennes ont résilié le contrat avec la firme russe. Un nouvel appel d’offres internationales a été lancé, remporté fin 2017 par la China Gezhouba Group Company (CGGC), et les travaux ont redémarré fin mars 2019.

Un activisme récent accru des sociétés chinoises peu avant le coup d’Etat

La Chine a pris ces derniers mois plusieurs initiatives pour développer davantage et diversifier la coopération entre les sociétés chinoises et le Niger consécutivement à un forum d’investissement entre les deux Etats. Cette réunion a abouti à   la signature de nouveaux protocoles d’accord :

  •  le 26 mai 2023, pour la reprise de permis pétroliers d’Agadem par la Sinopec,
  • le 28 juin, pour la reprise, par la China National Uranium Corporation (CNUC), des activités interrompues en 2015 sur le site d’Azelik.

Au mois de juillet, juste avant le 26, date du putsch, plusieurs autres actions ont été menées :

  • le 3, l’annonce de la construction à Niamey d’un parc industriel regroupant les activités de différents secteurs : agro-alimentaire, manufacturier, minier et immobilier,
  • le 14 juillet, la livraison au Ministère de la Défense nigérien d’un important stock d’armes légères, d’un montant estimé de 2,5 Mds CFA (600 pistolets de 9 mm, 12 800 fusils d’assaut de calibre 7,62 ; 16 mitrailleuses de 14,5 mm, 200 mitrailleuses de 12,7mm, 150 mitrailleuses M80 ; 60 lance-roquettes de 40 mm, 30 lance-grenades automatiques de 35mm ; 20 mortiers de 60mm ; 30 mortiers de 82 mm et 20 canons sans recul de 82mm, 4000 grenades automatiques de 35mm, 6000 roquettes de 40mm et 2,4 millions de cartouches de divers calibres…). Deux autres dons ultérieurs de matériel militaire pour une valeur d’environ 8 Mds de francs CFA étaient prévus, également au profit des FAN,
  • le 21, le lancement, en présence du Président Bazoum, des travaux de rénovation du tronçon routier Abalak / Tamaya qui relie Agadez à Niamey, un axe stratégique pour l’évacuation du yellow cake extrait des mines de l’Aïr.

Enfin, de manière plus informelle, Sinopec a supposément été impliquée dans la création d’une société, la PetroNiger, dont les statuts devaient être présentés en conseil des ministres le 27 juillet. Cette création avait pour objectif de capter les recettes du PENB afin de briser le monopole de la Société nigérienne du pétrole – la Sonidep- chargée de la commercialisation du pétrole nigérien. Les transactions financières de cette dernière, étroitement contrôlée par des proches de l’ex-président Issoufou dont son fils, lorsqu’il était ministre du pétrole en exercice, apparaissaient particulièrement opaques. Le président Bazoum entendait, via la future PetroNiger, reprendre en main le secteur, ce qui serait le principal élément déclencheur du coup d’Etat.

Une réaction chinoise prudente et attentiste après le putsch

La Chine a beaucoup à perdre si les sanctions financières et l’instabilité locale se prolongent. Ainsi, bien que réalisés à 80%, les travaux de construction du barrage de Kandadji par le China Gezhouba Group, ont déjà été suspendus le 10 août 2023. Le chantier devrait être achevé en 2025 (Phase I) et 2031 (Phase II). pour un coût estimé de 1,285 millions d’USD, sur financement multilatéral. La réalisation de cet ouvrage est cruciale pour le Niger en raison de sa dépendance actuelle aux importations d’électricité en provenance du Nigeria qui ont été coupées dans le cadre des sanctions adoptées contre la junte par la CEDEAO.

Par ailleurs, consécutivement au positionnement de Cotonou au sein de la CEDEAO sur une ligne dure à l’encontre de la junte nigérienne, un tracé alternatif à celui initialement prévu serait envisagé par des membres du CNSP pour acheminer le pétrole produit par Petrochina par le PENB.

Aussi, la réaction chinoise au putsch est-elle prudente et attentiste : opposée à une intervention armée, elle observe, en particulier, les réactions de l’Union africaine et de la CEDEAO. Bien que le ministère chinois des Affaires étrangères considère que la situation ne présente pas de danger pour les ressortissants chinois (qui pour la plupart viennent travailler sur un projet, restent établis sur les chantiers et repartent en Chine), il a néanmoins émis des instructions préventives pour renforcer les mesures de sécurité à destination de ses ressortissants.

Tandis que le CNSP a convoqué le 13 août une réunion au ministère du pétrole pour étudier la possibilité de réattribuer des permis d’exploitation pétrolière et miniers, les cartes pourraient être rebattues. Les tensions se cristallisent autour de la présence française sur place ; des mesures radicales pourraient être prises.  Une remise en cause des permis octroyés pour les gisements d’Arlit et surtout le projet d’exploitation d’Imouraren qu’Orano prévoyait d’exploiter en 2028 après des essais en 2024 et convoité de longue date par les entreprises chinoises, est – dans ces conditions – parfaitement envisageable.

Equilibre de la sous-région et pragmatisme chinois  

La réattribution des permis d’Imouraren à des entreprises chinoises au détriment des intérêts français, permettrait de sécuriser davantage les approvisionnements en minerai d’uranium nécessaire à la fois à la stratégie nationale de développement du nucléaire mais également à la stratégie internationale d’exportation de combustible de la Chine pour alimenter ses réacteurs Hualong. Enfin, une augmentation de la production chinoise de minerai d’uranium pourrait également servir son complexe militaro-industriel, dans un contexte de tensions accrues dans le détroit de Taiwan.

Alors que la France est depuis le début de la décennie 2020  menacée d’une éviction durable du Sahel, la Chine est très présente dans plusieurs pays d’Afrique où sont encore implantées des bases militaires françaises. A Djibouti mais également au Gabon, où l’opposant historique d’Ali Bongo, Jean Ping dont le père était de la province du Zhejiang, s’est rapidement rallié au nouvel homme fort du pays, Albert Ondo Ossa. Bien que la configuration du coup d’Etat au Gabon soit très différente du putsch au Niger, l’évènement rappelle que des élections peuvent constituer des facteurs de troubles favorables aux changements. Le déroulement des échéances électorales programmées ces prochaines mois dans certains Etats d’Afrique de l’Ouest – élections présidentielles et législatives au Liberia en octobre et décembre prochain, élections législatives au Togo également en décembre et élections présidentielles au Sénégal – qui abrite des troupes militaires françaises – en février 2024, sera à suivre avec une grande attention. Toute remise en cause de ces processus ne manquera pas d’avoir un impact délétère sur l’équilibre de la région.

La stabilité au Niger est nécessaire à la Chine pour continuer le déploiement de sa stratégie globale. En tout état de cause, Pékin, qui vient de nommer un ambassadeur en Afghanistan sans reconnaissance officielle du régime des Talibans, le 13 septembre, saura faire preuve, comme à son habitude, de pragmatisme diplomatique.

Sandrine Ronco

Spécialiste de la Chine

et chargée d’enseignement à l’Université Gustave Eiffel

sur des questions d’indicateurs de risques géopolitiques


[1] Les délégations de 49 pays africains dont 17 chefs d’Etats (incluant le président sénégalais Macky Sall) étaient réunies (contre 54 et 45 lors du précédent sommet)


 

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