Les inondations qui ont frappé Dubaï, mi-avril, illustrent la vulnérabilité croissante des infrastructures physiques de l’économie mondialisée au réchauffement climatique et au dépassement des limites planétaires.
Les Emirats Arabes Unis ont été sévèrement frappés, mi-avril, par des pluies torrentielles qui ont semé le chaos dans toute la fédération. La ville de Dubaï et son aéroport international ont été particulièrement impactés. Celui-ci n’a plus fonctionné qu’a minima pendant plusieurs dizaines d’heures. Une situation de crise qui a provoqué l’annulation de centaines de vols, des déroutements de milliers d’autres, des retards en cascade, et des dizaines de milliers de passagers bloqués, semant la confusion dans les terminaux et la désorganisation sur toute la plate-forme aéroportuaire. Une « bordelisation » peu habituelle, voire jamais vue, sous ces cieux. Une « Nature sauvage et brutale » a imposé sa loi dans les rues (les autoroutes urbaines plutôt) et sur les tarmacs d’un des principaux hubs commerciaux et logistiques de l’économie globalisée. Il en a résulté des dégâts conséquents et des images spectaculaires d’une cité du désert sous les eaux.
Si Dubaï a enregistré en 12 heures, le 16 avril, l’équivalent d’une année moyenne de précipitations, certaines secteurs, situés aux alentours d’Abou Dhabi, ont reçu 245 mm de pluie en une seule journée. Un déluge jamais observé depuis le début des relevés météo dans la zone, voici 75 ans. Des cellules orageuses se sont succédé plusieurs jours d’affilée, avec une moindre intensité, le retour à la normale intervenant à compter du 20 avril. Mais le bilan humain s’est avéré élevé : 24 morts, 20 à Oman et 4 dans les Emirats (un ressortissant émirien et trois travailleurs émigrés philippins), les autorités locales tentant de nier le caractère catastrophique de cette séquence en évoquant des « pluies bienfaisantes ». Les victimes apprécieront !
Inondations en plein désert
Un début de polémique a émergé au lendemain de ces inondations sans précédent concernant le rôle qu’aurait pu avoir dans ce déferlement tempêtueux les opérations d’ensemencement des nuages régulièrement effectués par le National Center of Meterology / NCM émirien. Plusieurs médias américains (Bloomberg, Business Insider…) ont rapporté le témoignage d’un météorologue local, évoquant plusieurs vols d’ensemencement réalisés lors des 48 heures ayant précédé les premières trombes d’eau. Des allégations largement reprises dans les réseaux sociaux mais vivement démenties par les autorités qui ont nié tout vol récent d’ensemencent. Toutefois, de telles pratiques sont fréquentes dans les Emirats, qui se sont orientés vers de telles pratiques dès les années 90 et ne cessent de vouloir améliorer leurs résultats (diffusion par avion d’iodure d’argent en aérosol ou usage de drones engendrant des décharges électriques dans les nuages). Certains ont vu dans ce déluge une preuve irréfutable des dangers de la géo-ingénierie et de la tentation prométhéenne de certains humains à vouloir jouer aux apprentis sorciers en traficotant des phénomènes naturels sans en contrôler réellement les tenants ou les aboutissants. Avec à la clef, de vraies catastrophes.
Cette hypothèse liée à « l’arrogance humaine » semble cependant devoir être écartée. Nombre de scientifiques – au regard de l’ampleur régionale du phénomène (ayant affecté toute la zone s’étendant de Bahreïn à Oman en passant par le Qatar et une partie du nord-est de l’Arabie saoudite) et des modèles météo élaborés les jours précédents prévoyant de fortes pluies rendant inutiles de telles opérations – estiment que d’éventuels vols d’ensemancement n’ont eu aucun rôle – en tout cas très limité – sur l’intensité du phénomène. Un rapport en date du 25 avril du réseau international de chercheurs World Weather Attribution visant à établir les causes de ce phénomène exceptionnel tend à incriminer principalement le réchauffement climatique. La côte septentrionale de la péninsule arabique a subi une succession d’orages violents ayant puisé leur énergie dans les eaux anormalement chaudes à cette période de l’année du golfe arabo-persique. Cette succession de cellules orageuses aurait été en lien avec une dépression bloquée sur zone en raison des ondulations du jetstream pendant plusieurs jours. Des phénomènes naturelles (fortes précipitations enregistrées lors des années El Niño) auraient ainsi été amplifiés par les effets du changement climatique.
Selon les météorologues, chaque degré d’élévation de la température résultant du réchauffement climatique provoqué par l’utilisation par les humains des énergies fossiles donne lieu à un accroissement – jusqu’à 7% selon les estimations du GIEC – de l’humidité dans l’atmosphère, provoquant des précipitations plus abondantes. Une situation résultant d’un principe basique de physique : l’air chaud contient plus d’eau. L’évolution climatique de la péninsule arabique (mais plus globalement de toutes les régions arides) au cours de la prochaine décennie devrait ainsi se caractériser par de longues périodes de sécheresse ponctuées par de forts épisodes orageux générant pluies diluviennes et inondations ponctuelles.
Mourir noyer dans le désert ne va plus constituer un coup de malchance. Mais un risque prévisible et quantifiable. Cet épisode pluvieux de la mi-avril 2024 ne ferait que préfigurer ce qui va advenir ces prochaines années et décennies. L’exceptionnel devrait devenir la norme sous l’effet du dérèglement climatique. Et cette évolution ne se limite pas à la Péninsule arabique. On l’a observé également dans l’Ouest des Etats-Unis, lors des pluies torrentielles s’étant abattues sur la très aride Death Valley en 2022, 2023 et encore en février 2024, ou à l’occasion de la quinzaine de « rivières atmosphériques » ayant balayé durant l’hiver 2022/2023 le sud de la Californie, y mettant fin brutalement (au moins 22 morts) à plusieurs années de sécheresse.
Un impératif d’adaptation
Il va devenir urgent pour les pétromonarchies du Golfe d’adapter leur environnement urbain, non seulement aux très fortes chaleurs, mais aussi à la fréquence d’intempéries hors-norme. L’ampleur des inondations a été amplifiée à Dubaï par le sous-calibrage des réseaux d’évacuation des eaux et du sous-dimensionnement du réseau d’égouts, pratiquement inexistant dans une bonne partie de la ville et en partie ensablés faute d’entretiens suffisants là où il existe. A cela, s’ajoute l’impact de l’artificialisation des sols dans un environnement par bien des égards ultra-minéralisé, entre sols arides et durcis par la sécheresse et surfaces goudronnées à foison. Il y a pour les autorités locales urgences à corriger le tir : selon les experts du World Weather Attrbibution, de 80 à 85% de la population des EAU et d’Oman vivent dans des zones inondables et de faible altitude, fortement exposées aux inondations.
Des zones où sont également localisées de nombreuses infrastructures logistiques, de transport ou commerciales dont le bon fonctionnement pourrait très (trop ?) régulièrement être affecté à l’avenir par des événements climatiques de plus en plus dévastateurs et de moins en moins exceptionnels. Un nouveau risque à prendre en compte pour les entrepreneurs et investisseurs faisant du business dans ce haut lieu de l’économie globalisée. Et éviter ainsi que leurs affaires n’y prennent l’eau…
Le « déluge de Dubaï » n’est – en résumé – qu’un « indice climatique faible » de tendances à venir. La cause du phénomène ne réside pas dans quelques vols d’ensemencement potentiellement inappropriés mais dans l’inaction de la plupart des Etats face au changement climatique, inaction ô combien soulignée par le déroulement pathétique de la dernier COP 28 à Dubaï, à peine six mois plutôt. Une conférence marquée par la victoire des Etats et des lobbies extractivistes sous la houlette de la présidence émirienne incarnée par le PDG de la compagnie publique pétrolière locale. Certains y verront une vengeance d’une Nature punitive… aboutissant au paradoxe de l’arroseur arrosé !