La 26ème conférence des parties sur les changements climatiques (dite « COP 26 ») qui s’est tenue à Glasgow durant la 1ère quinzaine de novembre, en regroupant près de 30 000 participants issus de 196 pays (dont 120 chefs d’Etat ayant fait le déplacement), a constitué une étape significative dans le cheminement vers 2050. Mais pas vraiment dans le sens d’un futur rieur et apaisé. Comme on pouvait le redouter au regard des résultats obtenus lors des précédentes « grandes messes diplomatico-environnementales » de cette nature, le bilan final des travaux est maigre au regard des attentes initiales : « modeste » dirons les plus optimistes, « médiocre » se lamenterons les plus pessimistes, Greenpeace France évoquant « un petit pas pour les négociateurs mais un rendez-vous raté pour l’humanité ».
Des avancées à la vitesse de la tortue
Quelques avancées ont certes été engrangées dans le « Pacte climatique de Glasgow », comme l’évocation – pour la 1ère fois dans le document final d’une COP – du rôle des énergies fossiles dans le dérèglement climatique. Le fait était scientifiquement avéré dès la fin des années 70 / début des années 80, voire même avant au regard des travaux de certains scientifiques précurseurs, mais n’a été diplomatiquement acté qu’en… 2021. Un tel « grand écart » entre temps scientifique et temps diplomatique n’augure rien de bon quant au traitement des urgences de toutes natures qui vont nous attendre au cours des trois prochaines décennies.
Au-delà de cette « micro-avancée » ne satisfaisant réellement que quelques équipes de négociateurs, les motifs de satisfaction de la quinzaine écossaise sont limités et ne parviennent pas à pallier la déception et les désillusions de nombreux scientifiques et de la plupart des activistes et des représentants du « Sud ». Les engagements pris par les participants ne vont nullement permettre de tenir l’objectif de limiter l’augmentation d’ici la fin du siècle des températures à 1,5° maximum par rapport à celles prévalant à l’ère préindustrielle, tel que fixé par l’Accord de Paris de 2015. On sait depuis la publication du dernier rapport du GIEC, en août dernier, que le phénomène de réchauffement est plus rapide et de plus grande ampleur que prévu. Et le dernier rapport du PNUE, en date du 9 novembre, pronostique une montée probable des températures de 2,7 °, s’accompagnant d’une cascade d’effets induits totalement indésirables (montée des eaux, acidification des océans, désertification, déforestation, famine, migrations, fréquence des événements météorologiques extrêmes : canicules, mégafeux…).
Les effets de ce dérèglement climatique, combinés à ceux de la crise de la biodiversité (disparition redoutée de milliers d’espèces animales + destruction des derniers îlots de forêts primaires au cours des prochaines décennies) et aux perspectives de croissance démographique humaine (estimées à 9,735 milliards d’individus en 2050 à en croire les travaux des « World Population Prospects » élaborés par les Nations unies), vont profondément « refaçonner » notre planète. En 2050, la très grande majorité de l’espèce humaine va vivre (ou plutôt survivre) de facto sur ce qu’il convient bien d’appeler une « autre Terre », bien différente que celle que nous connaissons depuis des dizaines de milliers d’années.
« Rester dans les clous » de l’objectif fixé par la COP 21 de Paris nécessiterait de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 45% d’ici à 2030 par rapport à 2010, ce qui semble inatteignable au regard des trajectoires observées en la matière ces dernières années (lesquelles font plutôt redouter une augmentation de 14% des émissions) et du manque de volontarisme dont ont fait preuve les protagonistes clefs de la COP 26.
Le slogan retenu par la présidence britannique de la COP 26 – « Coal, cash, car & trees » – entendait symboliser les nombreux sujets à aborder durant les quinze jours de la conférence (lutte contre la déforestation, réduction des émissions de méthane, arrêt des investissements dans les énergies fossiles, mise en place d’un mécanisme de financement pour l’adaptation des pays du sud particulièrement touchés par le changement climatique, structuration et fonctionnement des marchés carbone internationaux….). Le niveau d’ambition affiché par Londres était plus que louable. Mais comme souvent, le « diable s’est caché dans les détails » pour aboutir à des résultats globalement décevants.
Sans dresser un bilan exhaustif de la conférence, que d’autres auteurs ont bien résumé par ailleurs, il semble important d’insister spécifiquement sur deux points précis dont les effets à long terme peuvent apparaître préoccupants. Deux points devraient revenir sur le devant de la scène lors des prochaines COP (COP 27 à Charm El-Cheik en Egypte en 2222 et COP 28 à Dubaï en 2023).
La tentation de « saucissonner » les négociations
Plutôt que d’aborder les diverses thématiques évoquées dans le cadre d’un processus de négociation globale, avec l’impérative nécessité d’aboutir à un consensus satisfaisant tous les participants, les Britanniques ont poussé à des négociations spécifiques ponctuelles sur nombre de ces sujets. Une telle approche a permis la constitution de coalitions ad hoc et à la signature de déclarations permettant aux plus volontaristes des participants de s’affranchir des freins et obstacles agités par les moins ambitieux.
Mais les progrès enregistrés s’avèrent limités car les engagements pris ne concernent à chaque fois que quelques dizaines d’Etats, sur une base uniquement volontaire et n’induisent aucune obligation juridique. La concrétisation de ces accords ne repose que sur le bon vouloir des parties signataires, sans contrainte aucune en cas de dédit ou de non application des engagements pris.
Cette conduite alternative des négociations, en dépit des « succès politico-médiatiques » affichés dans l’instant, conduit à « miter » dans le long terme le processus global de négociations et favorise la formation de « trous dans la raquette » en raison du refus de certains protagonistes majeurs de souscrire à cette kyrielle d’accords ponctuels. D’un plat unique, valable pour tous – quitte à être peu digeste pour certains, on passe à un repas à la carte, permettant d’éviter aux plus puissants de manger ce qu’ils n’aiment pas et de ne déguster que ce qui leur plaît, en sacrifiant au passage l’intérêt commun (de la Planète, du moins de l’Humanité).
Cette approche « à la carte » a ainsi permis à la présidence britannique de s’enthousiasmer au sujet du Pacte mondial sur le méthane, réunissant 105 pays s’engageant à réduire d’ici 2030 leurs émissions de méthane de 30% par rapport à leur niveau de 2020 (le méthane étant un des principaux GES avec le CO2), engagement certes significatifs mais qui ne sollicite guère d’efforts de la part de l’industrie agroalimentaire, pourtant principale émettrice de méthane. Bravo à ses lobbyistes ! De même, les organisateurs de la conférence n’ont pas manqué de se satisfaire des engagements pris en matière de réduction de la déforestation d’ici 2030. Mais certains « grincheux » n’ont pas manqué de faire remarquer que de tels engagements avaient déjà été pris voici plusieurs années pour 2020, les résultats obtenus étant plus que « timorés » à en croire les interventions alarmistes en la matière entendues lors du récent congrès de l’UICN en septembre dernier à Marseille.
Cette stratégie des « petits pas à la carte » a surtout été mise en œuvre concernant la sortie des énergies fossiles, pourtant le dossier prioritaire vue l’impact du charbon et des hydrocarbures sur les mécanismes de réchauffement climatique. A défaut d’avancées significatives de portée « universelle », le bilan de la COP 26 se limite à l’engagement d’une quarantaine de pays à sortir progressivement du charbon d’ici la fin des années 2040 (aucun des principaux consommateurs que sont les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde ne s’étant rallié à cette initiative) tandis qu’une trentaine d’autres s’engageaient à mettre fin aux financement de projets d’exploitation à l’étranger d’énergies fossiles sans techniques de capture de CO2 d’ici 2022. Trop peu, trop lent, trop loin dans le temps, à l’image de l’Inde, formulant pour la première fois un objectif de neutralité carbone pour…. 2070 (alors que la population de New Delhi s’asphyxiait au même moment sous l’effet de taux de pollution dramatiquement élevés).
Quelques bonnes surprises sont toutefois à souligner. Chinois et Américains se sont ainsi entendus sur une déclaration conjointe sur le renforcement de l’action climatique, à la formulation toutefois bien vague mais rompant avec la logorrhée de guerre froide prévalant entre les deux depuis des mois. Par ailleurs, à l’initiative de deux « bons élèves traditionnels » de ces grandes messes (Danemark et Costa Rica), une autre petite étincelle d’optimisme est venue de la constitution de la petite coalition « BOGA » (pour « Beyond Oil & Gas Alliance »), regroupant une douzaine de de pays et régions développées (dont la France) qui ont pris l’engagement de ne plus approuver de nouveaux projets d’exploitation de gisements de pétrole et de gaz au-delà de ceux déjà décidés en 2021 et auparavant. Soit, pour faire simple, un arrêt programmé de l’exploration et à terme de l’exploitation des hydrocarbures. Reste cependant à espérer qu’un nombre croissant d’Etats rallie la coalition BOGA au cours des prochaines COP (aucun pays producteur ne figurant parmi les Core members ni les Associates Members à la notable exception de… la Californie) et que tous ces engagements « volontaires » donnent effectivement lieu à la mise en œuvre de politiques publiques permettant d’atteindre les objectifs visés.
L’approfondissement du clivage Nord/Sud sur fond de « pingrerie » des Occidentaux.
Mais le déroulement des négociations durant la quinzaine et le bilan final ont suscité une forte amertume parmi les délégations des pays du Sud qui repartent de Glasgow avec le sentiment d’avoir une nouvelle fois été floués par l’habilité manœuvrière des négociateurs des pays développés occidentaux, appuyés par des escadrons de lobbyistes recrutés par de grandes entreprises polluantes pour bloquer ou atténuer toute possible mesure susceptible d’impacter trop fortement leurs activités. Un décompte de l’ONG Global Witness a recensé plus de 500 participants affiliés à des cabinets de lobbying opérant pour l’essentiel pour de grands opérateurs économiques, principalement liés au secteur extractif. Le sommet de Glasgow apparaît de ce fait comme un succès majeur pour les tenants du greenwashing et du statu quo.
Message vidéo du ministre des affaires étrangères de Tuvalu, Simon Kofe, diffusé le 9 novembre 2021
Crédit photo : Tuvalu Ministry of Justice, Comunication & Foreign Affairs
L’une des principales désillusions des représentants du « Sud » concerne le refus des pays développés d’accepter de fournir une compensation financière via un mécanisme dit de « pertes et dommages » aux pays du sud. Les pays du G20 sont les plus riches (85% du PIB mondial) mais aussi les plus gros pollueurs (80% des émissions de GES) et les principaux contributeurs historiques de gaz à effet de serre depuis le milieu du XIXème siècle et le début de la révolution industrielle « carbonée » en Occident. Nonobstant le poids de la Chine, de l’Inde ou de l’Afrique du sud, dans le niveau actuel d’émissions de GES (et leur réticence à sacrifier leur recours aux énergies fossiles pour assurer leur développement), la grande majorité de ces pays n’ont qu’une responsabilité très limitée dans le dérèglement climatique actuel et futur mais vont en subir les conséquences les plus dévastatrices.
Un tel refus s’explique par la crainte des pays occidentaux d’ouvrir une boîte de Pandore susceptible de déboucher sur une vague de poursuites judiciaires de la part des pays du sud les plus fortement impactés, en particulier les micro-Etats insulaires, pour obtenir des compensations financières à leur disparition programmée résultant de la montée inéluctable des eaux. Seule l’Allemagne, accompagnée par la Wallonie et l’Ecosse (préfiguration de l’Europe politique en 2050 ???), a concédé un petit geste financier dans ce registre (Berlin et les deux régions européennes promettant de débloquer… 10 millions d’euros).
La « pingrerie » des Etats développés sur ce dossier, mais aussi le retard des engagements pris en 2009 à Copenhague pour mobiliser une aide « climat » de 100 milliards de $ par an à compter de 2020 en faveur des pays du Sud ; le non-respect de leurs promesses de contributions au Fonds Vert ou la transformation de promesses de dons en prêts concernant les programmes d’adaptation (au risque d’alourdir le niveau de la dette des pays récipiendaires), contribuent à alimenter de sérieuses tensions entre pays du Nord et du sud sur la question climatique. Tout incite à penser, COP après COP, qu’un fossé de plus en plus profond se creuse entre participants dont la vision et les intérêts face aux enjeux du dérèglement climatique ne cessent de diverger. Au risque de déboucher à l’horizon 2030 sur de vrais lignes de fractures entre deux camps aux comportements de plus en plus antagonistes, et cela alors que plus que jamais, à cette date, le besoin de coopération internationale sera de plus en plus impérieux.
Un tel constat d’échec collectif de la coopération internationale face des enjeux aussi majeurs et un calendrier aussi contraint fait redouter une radicalisation des discours et des comportements dans chaque camp. De nouvelles lignes de fractures (géopolitiques, géo-économiques, énergétiques, comportementales, concernant tout particulièrement les modalités de sortie des énergies fossiles) pourraient émerger en lieu et place d’une solidarité planétaire pourtant impérative.
A l’antagonisme « traditionnel » Nord / Sud pourraient se juxtaposer d’autres formes de clivages, opposant « pays ou économie décarboné(e) / carboné (e) » ou encore « Vertueux » vs « Récalcitrants » au sujet des modalités concrètes d’adaptation à la transition énergétique dont la conduite à marche forcée s’avérera d’autant plus impérative que la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris apparaîtra chaque jour un petit plus improbable.
Face à l’urgence environnementale qui se manifestera dans les années 2030, ce que les tractations policées des grandes messes diplomatico-environnementales, façon COP, n’auront pas parmi d’obtenir consensuellement, certains pays, certains acteurs transnationaux ou certaines fractions des générations montantes, lasses des blablas vides de sens des tenants d’une approche trop officielle, pourront avoir la tentation de l’obtenir de façon plus « musclée », par le recours à la violence pour faire avancer les choses et gagner la course contre la montre de la transformation irréversible de la planète.