Course à la Lune : Asie 3, Occident 0…

Plusieurs sondes originaires de pays d’Asie se sont récemment posées sur la Lune alors que les programmes lunaires américains prennent du retard. L’installation de bases lunaires permanentes va constituer un enjeu majeur des prochaines décennies.

Le 19 janvier dernier, la Jaxa, l’agence spatiale japonaise, a réussi l’exploit de poser, avec une précision jamais atteinte jusque là, un alunisseur surnommé« Moon Sniper » (de son vrai nom Smart Lander for Investigating Moon / SLIM) à l’intérieur d’un cratère d’à peine 300 m de diamètre situé sur le pôle sud de la Lune. L’alunissage s’est effectué à une centaine de mètres près du point visé alors que les précédents exploits en la matière se satisfaisaient d’une marge de plusieurs kilomètres, l’essentiel étant de pose l’engin, si possible toujours en état. En la matière, les échecs sont bien plus nombreux que les réussites (cf. échecs de la sonde israélienne Beresheet en 2019, de la sonde Hakuto-R de la start-up nippone ispace, en avril 2023 et de la russe Luna-25 en août dernier, sans parler de l’explosion le 8 janvier 2024 de la sonde Peregrine de la firme US Astrobotic). La Lune se mérite et se laisse difficilement apprivoiser.

Cet exploit d’alunir un engin d’une façon aussi précise repose sur une technologie innovante de navigation basée sur l’imagerie. La sonde est équipée de caméras captant des images du sol que l’ordinateur de bord compare en temps réel aux cartes de la surface lunaire stockées dans sa mémoire. L’engin peut ainsi se localiser en permanence par rapport au sol et se diriger avec efficience vers le point ciblé. La précision de cet alunissage ouvre de nouvelles perspectives concernant la « colonisation » de la Lune, en laissant augurer une optimisation de l’arrivée de futures charges utiles, au plus près des zones d’alunissage prédéterminées. De quoi grandement faciliter le retour de l’Homme (et cette fois également de la Femme) sur notre satellite et favoriser l’établissement de futures installations pérennes à sa surface, objectif programmé à l’horizon 2030/2035. L’exploit nippon symbolise le passage de missions lunaires « où on atterrit  où on peut » à des programmes « où on alunit où on veut ».

Le Japon décroche la Lune

La performance de cet alunissage a cependant été entachée par un contre-temps technique (heureusement temporaire) puisque la sonde a dû être « endormie » à peine posée, faute d’énergie suffisante, les panneaux solaires devant lui assurer son alimentation énergétique étant mal orientés. Mais les ingénieurs japonais ont réussi à relancer l’engin après avoir patienté quelques jours, le temps que l’angle du soleil se modifie et que son rayonnement puisse atteindre les panneaux pour recharger les batteries. La mission a pu ainsi reprendre et les deux petits rovers d’exploration (LEV-1 et LEV-2) ont pu procéder à des analyses du sol lunaire.

Cette mission constitue une grande réussite pour la Jaxa, après une douloureuse série d’échecs. L’agence japonaise est parvenue à mener toutes les phases de ce programme pratiquement de manière autonome : conception de la sonde et du rover ; lancement de la mission le 7 septembre denier depuis la base spatiale de Tanegashima au moyen d’une fusée H-2A de fabrication nationale. La mission illustre magistralement le savoir-faire spatial japonais dans ce premier quart du XXIème siècle. L’Empire du soleil levant devient la 5ème puissance à parvenir à poser un engin sur la Lune et la 3ème asiatique à le faire ces dernières années (après la Chine, dès 2013 via le programme Chang-e, et l’Inde, avec la sonde Chadrayaan-3, en 2023). Des succès qui contrastent avec les résultats très mitigés obtenus par les Russes mais aussi les Américains, qui n’y parviennent plus après avoir pourtant connu un « ‘âge d’or » en la matière, au tournant des années 60/ 70 avec le programme Apollo. Pour leur part, les Européens se sont autoexclus de longue date de la compétition et n’ambitionnent qu’à obtenir un strapontin dans l’aventure.

Le programme Artemis visant au retour des Humains sur la Lune, élaboré par Washington au tournant des décennies 2010/2020 en collaboration avec une vingtaine de pays (dont la France), a connu une longue série de contre-temps et de défaillances ayant entraîné des reports répétés du calendrier initial (développement plus difficile et plus long que prévu du vaisseau spatial Orion et de la nouvelle fusée SLS / Space Launch System, financement insuffisant du programme…). L’apogée du programme, la mission Artemis III devant conduire à réexpédier des humains sur le sol lunaire, est désormais programmée, au mieux, pour 2026 (2024 à l’origine).

Ces aléas conduisent à s’interroger sur les modalités de la colonisation lunaire et sur la manière dont les puissances terriennes vont chercher à s’implanter sur le satellite de notre Planète, et tout particulièrement à son pôle sud. Dans l’état des connaissances actuelles, les zones polaires lunaires pourraient fournir de l’eau (permettant de produire sur place de l’oxygène et de l’hydrogène pouvant servir de carburant à des engins à destination de Mars) ; de l’hélium-3 (très utile pour la maîtrise du procédé de fusion nucléaire) et divers éléments chimiques (laissant entrevoir une possible activité extractive lunaire, à très long terme). Au-delà de l’intérêt scientifique et de l’exploit technologique flattant les fiertés nationales, les enjeux géopolitiques et financiers sont considérables. Des enjeux susceptibles d’impacter sérieusement les rapports de force sur notre bonne vieille Terre et le leadership mondial futur, en prolongeant le bras de fer sino-américain dans l’espace.

L’Old Space fait de la résistance

Outre l’origine asiatique des récents alunisseurs étant parvenus à se poser, il convient de remarquer que ces exploits sont le faits de « vieilles » agences nationales publiques au moment où le discours dominant en Occident vante les mérites du New Space et des vertus de la privatisation des programmes spatiaux, sous couvert de développement de « l’économie orbitale » et de l’espace « utile », principalement en orbite basse. En parallèle au programme Artemis piloté par la NASA, les autorités américaines ont lancé l’Initiative CLPS (Commercial Lunar Payload Services), dans laquelle 14 entreprises se sont engagées en vue de développer des composants majeurs du programme Artemis (modules de la future station spatiale et de la base lunaire, engin spatial de transport bon marché et réutilisable destinés à l’approvisionnement régulier des futures installations lunaires …). La conquête spatiale made in USA s’est ainsi ouverte au privé, même si les firmes participantes sont très largement soutenues par des fonds publics en provenance de la NASA ou du DoD.

Les tenants du New Space considèrent qu’une myriade de start-ups aux effectifs généralement limités, aux capacités financières fluctuantes et au savoir-faire technologique plus ou moins bien maîtrisés mais à la communication agressive (permettant de lever à intervalle régulier des fonds pour poursuivre l’aventure de « l’astrocapitalisme ») seraient en mesure de mieux faire dans la conduite de programmes lourds et complexes que des agences publiques fortes de milliers d’ingénieurs. Une idéologie qui fait florès actuellement aux Etats-Unis, et tend à se répandre en Europe, à l’image des conclusions du dernier sommet de de l’Agence spatiale européenne, organisée à Séville en novembre dernier, qui a ouvert la voie aux firmes privées. Au risque de transformer l’Agence spatiale européenne (ESA) en guichet de distribution de contrats en faveur de de start-ups ciblant des niches commerciales très rémunératrices mais ne reposant souvent que sur des technologiques bien maîtrisées mais datant de plusieurs décennies, au lieu de concentrer ses efforts en faveur d’une ambition de souveraineté spatiale européenne, garantissant un accès indépendant à l’espace pour assurer le lancement de satellites d’intérêt réellement stratégique dans le cadre de programmes visant à repousser les limites de la créativité humaine.

Cette approche très « idéologique » de la conquête spatiale marque un réel fossé entre Orient et Occident et se traduit, à ce stade, par un relatif retard (rattrapable certes) des Occidentaux dans la course à la Lune. Les difficultés multiples rencontrées par le programme Artémis conduisent à s’interroger sur le leadership américain en la matière, alors que Pékin est en passe de constituer sa propre alliance lunaire (International Lunar Research Station) , avec des partenaires il est vrai peu performants dans le domaine spatial, à l’exception de la Russie (Afrique du sud, Azerbaïdjan, Biélorussie, Egypte et Venezuela). Mais Pékin pourrait chercher à ouvrir son projet à ses partenaires des BRICS¨+ (dont déjà 3 sont présents dans le programme chinois), dans le but d’offrir, dans le domaine spatial comme dans d’autres domaines plus « terriens », une alternative à l’hégémonie occidentale traditionnelle.

Trois nouvelles missions lunaires chinoises sont programmées en 2024, 2026 et 2028, visant prioritairement à renforcer les connaissances concernant les ressources en eau dans les régions polaires. Fort de tels acquis, Pékin devrait chercher à s’immiscer et à faire valoir ses intérêts dans la définition des règles de comportement à adopter pour les futures activités lunaires que Washington pilote actuellement dans le cadre du programme Artemis. Pékin pourrait chercher à « relocaliser » ces discussions dans un cadre plus multilatéral, voire onusien, plutôt que laisser Washington décider unilatéralement de la manière de se comporter sur la Lune. Avec le risque, dans le cas où de telles négociations ne pourraient aboutir, de transformer l’aventure lunaire en conquête du Far West, caractérisée par la Loi du premier arrivé. Un jeu dangereux pour les Occidentaux qui, dans le contexte actuel, n’ont aucune certitude de prendre leurs compétiteurs orientaux de vitesse. Alors que notre imaginaire spatial est forgé par les souvenirs victorieux du programme Apollo et des productions hollywoodiennes mettant en avant des astronautes très majoritairement WASPS, des mâles dominants blancs yankees, ayant leright stuff, la réalité de la conquête spatiale pourrait s’avérer plus mélangée en matière de nationalités, de genres et de cultures. Le très rationnel M. Spock, l’adjoint vulcain de l’intrépide Captain Kirk de la saga Star Treck aurait intérêt, à côté de l’anglais aéronautique dominant, de réviser ses bases en hindi et en chinois…

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