Pékin Express : les constructeurs chinois à l’assaut de l’Europe

La fin programmée du moteur thermique en Europe rebat les cartes dans le secteur automobile. Les constructeurs chinois de véhicules électriques devraient sortir grand gagnants de cette course à l’électrification.

Le nom et le visage de Wang Chuanfu sont peu connus du plus grand nombre. Pourtant ce très discret entrepreneur chinois taille depuis des mois des croupières au très médiatique Elon Musk dans un des secteurs qui ont fait sa renommée : les véhicules électriques (VE). La marque qu’a fondé et dirige Chuanfu depuis 1995, BYB (pour Build Your Dreams), s’est hissée au terme du 1er semestre 2023, à la première place sur ce secteur d’activité devant l’emblématique Tesla (1,4 millions de ventes, très majoritairement en Chine, contre 900 000 pour la firme contrôlée par le patron de X et de Starlink). Nombre d’analystes prédisent que la firme chinoise, après avoir ravi le leadership mondial sur le créneau de la VE, devrait devenir le N°1 mondial, toute forme de motorisation confondue, d’ici quelques années, au regard du « grand remplacement » technologique programmé du moteur thermique par la propulsion électrique.

BYD fait figure de chef de file de la « nouvelle vague automobile » chinoise, en pole position sur les marchés prometteurs de la voiture électrique et de la mobilité innovante (conduite autonome, infrastructure informatique, gestion de données en temps réel, cartographie haute définition…), en partenariat avec les grands acteurs du numérique chinois (Baidu, Tencent, Ali Baba). Longtemps acteurs marginaux et moqués par les cadors historiques du secteur automobile (européens, américains puis japonais), ces constructeurs chinois (BYD, Geely, Great Wall, Chery, SAIC, Dongfeng…) semblent en passe de renverser la table et de tenir leur revanche. Ils apparaissent les mieux placés pour profiter de la fin du règne du moteur thermique, doublement remis en cause sur les plans énergétiques et environnementaux et condamné en Europe à céder la place à des solutions moins polluantes à l’horizon 2035.

Or, en matière de VE, la Chine dispose d’une large avance : en 2022, il s’y est vendu deux fois plus de véhicules 100% électriques qu’aux Etats-Unis, en Europe et au Japon réunis. Et le tarif d’un VE y est 33% moins cher qu’un thermique alors qu’en Europe le prix d’une électrique est supérieur en moyenne de plus d’un quart par rapport à un véhicule conventionnel. Une belle rampe de lancement pour s’imposer au-delà des frontières chinoises.

Dans ce contexte, la Chine est devenue, au terme du 1er semestre 2023, le premier exportateur mondial de voitures, en dépassant le Japon, (2,34 millions d’automobiles contre 2,02 sur les six premiers mois de l’année). Près de la moitié de ces exportations concerne des véhicules électriques. Un succès qui témoigne de l’avance acquise en la matière par les constructeurs de l’Empire du Milieu. Près de 200 marques, grandes firmes ou start-ups (Nio, Xpeng…), s’activent actuellement sur le bouillonnant marché chinois du VE. Aux firmes chinoises, s’ajoutent les JV avec des constructeurs occidentaux dont une partie de leur production est fabriquée en Chine (à l’image du groupe Renault dont la Dacia Spring, une des VE actuellement les plus vendus en France, est fabriquée en  en Chine). Tesla, par bien des aspects (importance de la production de sa gigafactory de Shanghai, dimension stratégique du marché chinois pou la firme, proximité de Musk avec l’exécutif chinois), au-delà du mythe narratif de sa création, apparait désormais davantage comme une firme sino-américaine qu’un pur produit du capitalisme américain.

L’abondance et la diversité de cet écosystème industriel rend le marché chinois de la « watture » très hautement concurrentiel, en étant tout à la fois irrigué par des milliards de yuans d’investissements et dopé par des innovations technologiques se succédant à un rythme soutenu. Un environnement difficile mais qui permet d’acquérir un précieux savoir-faire, désormais inégalé, en matière de batteries (autonomie, temps de recharge, sécurité, résistance au froid, durée de vie, recyclage…) ou d’assistance à la conduite. Nombre de ces protagonistes vont disparaître au terme d’une sélection darwinienne mais les firmes parvenant à survivre à cet implacable compétition sont taillées pour partir à la conquête du monde.

Après avoir pris l’ascendant sur le marché chinois (désormais le 1er au monde avec 23 millions de véhicules vendus en 2022, dont un bon quart d’électriques ou d’hybrides,  contre seulement 13 aux Etats-Unis) ; profité du retrait occidental de Russie, s’être imposé chez divers émergents (latino-américains comme le Mexique et le Chili ou pétromonarchies comme l’Arabie saoudite et les EAU) mais aussi conquis les principaux marchés de la VE en Asie du Sud-Est (dont le très dynamique marché thaïlandais), les constructeurs chinois de VE, BYD en tête, entendent se lancer à l’assaut des marchés européens. La manœuvre, évoquée déjà lors du dernier salon de l’automobile de Paris, a été de nouveau réaffirmée avec netteté ces derniers jours par les firmes chinoises présentes en force, début septembre, au salon de la mobilité de Munich, en plein cœur de l’empire industriel automobile allemand.

Comme souvent, les Chinois ont testé leur stratégie depuis quelques années sur une zone limitée afin d’identifier les points sensibles à travailler pour accroître leur efficience. Le pays test retenu pour cette répétition préliminaire est depuis 2020 la Norvège qui possède actuellement le marché de la VE le plus dynamique d’Europe. Fréquence des flux logistiques Chine / Europe, faisabilité et ponctualité des liaisons maritimes entre Shanghai et Drammen (le principal port roulier norvégien, à une quarantaine de km d’Oslo), évaluation des infrastructures portuaires pour le débarquement et le stockage des véhicules, partenariat avec des réseaux de distribution locaux, stratégie marketing, politique commerciale, relations clients ont été testés grandeur nature et validés, afin d’être généralisés au reste du Vieux Continent. Certes, les firmes chinoises doivent encore surmonter un manque de notoriété et des a-priori négatifs de la part des consommateurs européens en matière de fiabilité et d’efficacité de leurs réseaux logistiques et de maintenance. Mais campagnes de publicité; mise en valeur de l’excellence des résultats aux tests techniques; avancées technologiques réelles sur les constructeurs européens et vraisemblablement guerre tarifaire implacable, déjà lancée sur le marché chinois depuis l’automne 2022, devraient aboutir à combler ces lacunes, reformater le marché (les VE chinoises ne représentant que 8% des ventes en Europe au cours du 1er semestre 2023) et ébranler en profondeur les rapports de force commerciaux dans ce secteur. Une spectaculaire redistribution des parts de marché est à attendre sur la période 2025 /2030. Et pas réellement au profit des constructeurs européens.

SUVs TANG de BYD en attente d’embarquement dans un port chinois.

Les Chinois pourraient, en outre, tirer profit des divergences perceptibles parmi les constructeurs européens, tout particulièrement entre Allemands (très dépendants du marché chinois et avides de coopérations avec les étoiles montantes issues de l’Empire du Milieu) et Français (en posture défensive après avoir raté quelques « rendez-vous » technologiques ou commerciaux). Ces divergences d’intérêt devraient relancer l’éternel débat interne au sein de l’Union entre partisans de l’introduction de mesures protectionnistes  et tenants des valeurs libre-échangistes, dominants au sein de la Commission et dans bon nombre de pays membres de l’UE, au risque de servir « d’idiots utiles » au service de l’expansionnisme commercial chinois.

Face à des concurrents européens divisés, en retard technologiquement et en panne d’inspiration, BYD apparait comme une redoutable machine de guerre bien rodée, dont la force de frappe est portée par une intégration verticale optimisée. La firme chinoise, qui a débuté son activité en 1995 dans le secteur des batteries électriques et ne s’est positionnée sur le créneau de l’automobile que depuis 2003, possède ses propres mines d’où sont extraits terres rares et minerais critiques nécessaires à la production de ses propres batteries ;  élabore et fabrique ses propres microprocesseurs dont sont désormais bourrés tout véhicule moderne, les puces made in BYD étant même revendues à de nombreux autres utilisateurs bien au-delà du secteur automobile. Le futur N°1 de  l’automobile mondial s’avère ainsi un conglomérat actif dans le secteur extractif, énergétique et électronique mais aussi dans le transport maritime. Pour accompagner son offensive européenne BYD a entrepris de se doter de sa propre flotte de car-carriers (pure car/truck carriers / PCTCs) aux caractéristiques toujours plus performantes et au design avant-gardiste afin de maîtriser ses coût de transport et ses délais de livraison à destination des marchés européens, sans dépendre de tiers.

Face à ce géant qui compte prochainement implanter des usines en Europe, les constructeurs européens semblent condamnés à l’horizon 2035 à un destin funeste :

  • la disparition (loi de jungle économique oblige, du fait d’être trop cher, trop en retard technologiquement, trop rétif à l’évolution et trop lent à se réorganiser et à se réinventer) ;
  • la survie en se positionnant sur un marché de niches très ciblées (et haut de gamme) ou sous perfusion, en étant protégés par des subventions publiques et de mesures protectionnistes plus ou moins affichées (mais les rendant totalement inaptes à la compétition mondiale hors de leur bulle sécurisée);
  • ou le déclassement dans la chaîne des valeurs en étant ravalés au rang de simple assembleur et de sous-traitant des géants chinois maîtrisant aux meilleurs coûts les technologies du futur de la mobilité électrique et des diverses déclinaisons de la mobilité verte.

Alors que la réindustrialisation constitue le nouveau mantra de l’Exécutif français, celle-ci semble devoir se faire en passant sous les fourches caudines d’opérateurs industriels asiatiques ou américains, les acteurs hexagonaux du secteur automobile parvenant difficilement à s’adapter aux exigences et contraintes qui se profilent à l’horizon 2035 et faute d’avoir su penser l’avenir.

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