Le camarade Xi au pays des Mille et Une nuits

Retour sur le séjour marathon du N°1 chinois chez son principal fournisseur d’énergie fossile mais si instructif concernant le monde qui vient…

Le N°1 chinois a effectué un séjour « marathon » en Arabie saoudite du 7 au 9 décembre 2022. Il s’agissait de sa première sortie officielle en dehors de son voisinage immédiat depuis le début de la pandémie de Covid-19, il y a 3 ans (à l’exception de participations à des sommets régionaux en Asie centrale et au sommet du G 20 à Bali en novembre). Le choix du royaume wahhabite comme destination ne doit rien au hasard. En moins de 72 heures, Xi Jinping a enchaîné un sommet bilatéral avec les autorités saoudiennes, donnant lieu à la signature de 34 accords de tous types d’un montant de près de 30 milliards d’US$, suivi de deux « premières  diplomatiques »: un sommet régional avec les pétromonarchies du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), marqué par la volonté d’aboutir à la signature prochaine d’un accord de libre échange entre les deux parties, quitte pour Pékin à consentir une inflexion diplomatique au détriment de son encombrant allié  iranien; puis un sommet Chine / Monde arabe, réunissant une trentaine de chefs d’Etat et de leaders d’organisations régionales.

Cette séquence diplomatique de « haute intensité » avait été précédée, courant novembre, par la publication par le ministère chinois des affaires étrangères d’un document évoquant les liens anciens entre Chine et Monde arabe mais surtout les objectifs à atteindre pour consolider cette relation durant la décennie à l’avenir. Pékin y prenait bien soin de préciser ne pas vouloir « perturber » les étroites relations sécuritaires prévalant depuis des décennies entre les Etats du Golfe et les Etats-Unis. Les Chinois réfutaient toute prétention à combler un hypothétique « vide de puissance » dans la région découlant de la réorientation stratégique américaine en cours en direction de la zone indopacifique. Une telle approche ne pouvait que ravir leurs hôtes saoudiens, en ouvrant la voie à un partage des tâches leur convenant parfaitement (« A Washington les questions de sécurité, à Pékin les projets économiques et technologiques »). Riyad pouvait ainsi concrétiser son aspiration à basculer de la « monogamie » qui prévalait jusqu’à présent avec le partenaire américain vers une « polygamie » ouverte à de nouveaux partenaires. Et en premier lieu Pékin, devenu ces dernières années le 1er partenaire commercial du royaume (87,3 Mds d’US$ d’échanges commerciaux bilatéraux en 2021, largement en faveur de Riyad du fait de ses exportations énergétiques d’un montant de 57 Mds US$, pour une petite part désormais réalisée en yuans et non plus en dollars). Une union « librement consentie » désormais entérinée par la signature d’un « Accord de partenariat stratégique global ».

Si la visite du président chinois a permis de raffermir les liens déjà existant dans le secteur des hydrocarbones (le royaume ayant fourni en octobre 2022 1,77 m de barils/jour, soit 18% des importations de Pékin) et en consolidant les partenariats dans le domaine de la pétrochimie, elle visait prioritairement à préparer le « monde de demain » post-carboné.

L’un des accords bilatéraux signés prévoit ainsi l’harmonisation entre le plan saoudien « Vision 2030 » et la stratégie chinoise de la BRI (Belt& Road initiative). La trentaine d’accords bilatéraux conclus couvre un très large spectre : énergie non carbonée (renouvelables mais aussi hydrogène et nucléaire civil) ; secteur de l’eau (usines de dessalement ou de traitement des eaux usées, barrages, réseaux de distribution..), infrastructures (en particulier ferroviaires, dont le Saudi Land Bridge Project) ; industrie manufacturière (en particulier automobile, et prioritairement les véhicules électriques) ; exploitation minière (secteur clef de la diversification de l’économie saoudienne et pour lequel Riyad espère trouver 170 Mds d’investissements d’ici 2030) et secteur financier (projet de cotation du géant pétrolier Aramco à la bourse de Hong-Kong et investissements massifs de capitaux chinois et hongkongais dans la zone MENA). Pékin s’est également engagé à épauler Riyad dans le développement d’une base industrielle de défense (en s’inspirant des réalisations émiraties en la matière, très en avance sur ce plan), tandis que les firmes chinoises devraient se tailler la part du lion dans la construction et la gestion en mode « smart city » de Noem, le projet très controversé de ville futuriste à 500 Mds d’US$ voulue par MBS sur les rives du golfe d’Aqaba.

Mais deux aspects caractérisent tout particulièrement la dimension prospective du séjour de Xi Jinping.

  • L’importance des accords relatifs à l’économie numérique, concernant l’utilisation de l’intelligence artificielle, l’exploitation des données, la gestion du cloud et le savoir-faire chinois en matière de cybersécurité. Autant de projets qui s’inscrivent dans la Digital Silk Road Initiative (DSR), la composante spécifiquement numérique de la Belt& Road Initiative (BRI), et reposant prioritairement sur « l’activisme » des grands firmes chinoises du numérique (de Huawei à Ali Baba ou China Telecom en passant par SenseTime). La visite de Xi à Riyad a permis de consolider le déploiement des équipements 5G chinois dans plusieurs pays de la région (et pas des moindres : Arabie saoudite, EAU, Qatar, Egypte et Maroc), au grand dam de Washington. Les Américains y voit une atteinte préoccupante à leurs intérêts de sécurité dans la région, redoutant une aspiration de données sensibles via ces équipements « made in China », mais sans parvenir à infléchir leurs « alliés » locaux quant à l’étroitesse de leurs relations avec les opérateurs chinois.
  • Surtout, le président Xi a pu vanter devant un auditoire très attentif les « vertus » du modèle techno-autoritaire mis en place dans l’Empire du Milieu et qui semble aisément exportable dans une bonne partie du monde arabe. Un modèle visant à consolider le pouvoir d’un seul homme (secrétaire général du parti ici, monarque là), s’appuyant sur un appareil répressif étatique efficient grâce à l’utilisation des nouvelles technologies et des data (ex : recours intensif à la reconnaissance faciale) et disposant des capacités techniques pour museler Internet et les réseaux sociaux, et ainsi imposer le narratif du régime en place en y faisant « disparaître » toute trace d’évènements perturbants. Un « modèle de gouvernance high tech sécuritaire » susceptible de trouver des adeptes du Maroc au royaume wahhabite, et sans risque de réelle concurrence occidentale dans ce domaine. De quoi largement accentuer, sur une bonne partie de la planète, la face sombre et autoritaire du « Monde de demain ».

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